
Images gracieuseté d’Intermarché & Romance.
Ces dernières années, une grande partie de l’épicerie française a participé à une « guerre des prix » permanente pour attirer une clientèle essentiellement de passage.
En 2017, Intermarché a commencé à travailler avec une agence basée à Paris Romance pour remettre en question cette convention de catégorie, en déplaçant l'orientation de la marque vers une nouvelle mission, « Aider les Français à manger un peu mieux chaque jour » qui comprenait un travail créatif plus résonnant émotionnellement et hautement visuel.
Depuis son relancement, la marque a augmenté sa part de marché, ajouté de nouveaux foyers à sa clientèle et amélioré la perception de la marque auprès des consommateurs français – tout cela sans modifier ses prix ou son empreinte.
La campagne a remporté le Grand Effie en 2018 Prix Effie France concours après avoir remporté une médaille d'or dans la catégorie Distribution et une reconnaissance spéciale pour l'impact créatif.
Nous avons demandé Jérôme Lavillat, Planificateur stratégique chez Romance, pour partager comment ce travail a efficacement stimulé la croissance de la marque.
Quels étaient vos objectifs pour « Aider les Français à manger un peu mieux chaque jour » ?
JL : Depuis 15 ans, les distributeurs alimentaires français se livrent une guerre des prix acharnée, avec des promotions agressives et des remises importantes dans leur communication. Parallèlement, les attentes des consommateurs français ont radicalement changé au fil du temps : en 2016, leurs comportements d’achat n’avaient plus rien à voir avec ce qu’ils étaient quelques années plus tôt.
En effet, de plus en plus de consommateurs français se tournent vers une alimentation plus saine et se tournent vers de nouveaux types de distributeurs : services de livraison de produits frais du champ à domicile, magasins bio, coopératives alimentaires, agriculture solidaire, magasins sans emballage, etc. Intermarché, troisième enseigne de distribution alimentaire en France, rencontre alors des difficultés et ne parvient pas à séduire les consommateurs. Sa part de marché diminue, perdant 345 000 foyers entre 2014 et 2017. En 2016, Intermarché est perçue comme l'une des marques les plus désuètes de sa catégorie (sa perception de marque comme étant moderne est classée 7 sur 10). Il devient donc prioritaire pour Intermarché de renouveler son image de marque afin de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs et de faire en sorte que les Français retombe sous le charme d'Intermarché.
Quel était votre public cible principal pour la campagne et pourquoi ?
JL : Nous avons fait le choix de cibler les Français les plus sensibles à la qualité : les jeunes familles. Parce qu'elles représentent une part majoritaire du chiffre d'affaires de la grande distribution (43,1%), qu'elles sont plus fidèles et qu'elles sont très sensibles à la qualité, nous avons choisi de cibler en priorité les familles avec bébés et enfants.
De plus, en s'adressant à des familles sensibles à la qualité, Intermarché a eu l'opportunité de conquérir le cœur de nouveaux clients plus rentables, moins souvent promo-addicts (« les promo-addicts » représentent 14,8% des clients d'Intermarché vs 10,3% en moyenne chez les concurrents) et moins volages (sur 100 clients qui font leurs courses chez Intermarché, 62,8% vont aussi chez E.Leclerc et 48,5% chez Carrefour).
Quelle a été votre vision stratégique ?
JL : Etant la seule enseigne à être aussi proche du monde agricole et à fabriquer ses propres marques, Intermarché est la mieux positionnée sur la catégorie pour proposer des produits de qualité et aider les Français à mieux manger.
Comment avez-vous donné vie à votre idée ?
JL : Les consommateurs français sont de plus en plus sensibles à la qualité et de plus en plus attirés par de nouveaux canaux de distribution. Il nous a donc fallu changer radicalement notre façon de nous adresser à notre public et casser les codes de communication du secteur. Et nous y sommes parvenus.
Nous avons repensé l'image de marque d'Intermarché : c'est la marque qui compte, pas l'offre. Nous avons lancé une campagne de marque plutôt que des campagnes axées sur les prix et les produits. Ce faisant, nous avons radicalement changé la façon dont Intermarché et les distributeurs alimentaires français communiquent habituellement. C'est ainsi qu'Intermarché a établi sa nouvelle ambition de marque – aider les gens à manger plus sainement au quotidien – et en même temps a profondément modifié son image de marque.
Nous avons privilégié une approche émotionnelle plutôt que rationnelle. Pour toucher le plus grand nombre possible de personnes, nous nous sommes éloignés du discours rationnel et des preuves tangibles. Nous ne voulions pas paraître condescendants. Au lieu de cela, nous avons présenté une histoire d’amour à laquelle tout le monde pouvait s’identifier et donc établir un lien émotionnel avec notre public.
Finalement, nous avons opté pour une approche cinématographique afin d'optimiser notre impact. Les distributeurs alimentaires investissent généralement beaucoup d'argent dans les spots publicitaires. Pour sortir du lot, nous n'avions pas d'autre choix que de casser les codes du secteur. Nous avons donc décidé d'aborder notre film d'une manière différente. Nous avons utilisé un traitement cinématographique (réalisation dirigée par Katia Lewkowicz), imaginé une vidéo de 3 minutes qui tranche avec la norme des courts métrages et utilisé une bande sonore très populaire pour créer un lien émotionnel avec les Français.
L'amour, l'amour
Pourquoi sortir de la « guerre des prix » et recentrer l’attention sur votre marque était-il la bonne approche ?
JL : Comme expliqué précédemment, les attentes des consommateurs français ont changé et leur rapport à la nutrition n’a plus rien à voir en 2016 avec ce qu’il était quelques années auparavant. 26% des Français se déclarent prêts à consommer moins pour consommer mieux, 53% se déclarent prêts à payer plus cher pour des produits de qualité et 70% déclarent manger mieux qu’il y a deux ans. Si cette quête de qualité semble évidente aujourd’hui, elle ne l’était pas en 2016. A cette époque, les distributeurs alimentaires étaient encore convaincus que seule comptait être perçue comme la marque aux prix les plus attractifs. En réalité, les consommateurs avaient besoin d’être rassurés et d’une marque qui les accompagne dans leur quête quotidienne du « mieux manger ». Nous avons été les premiers à nous en rendre compte et à mettre l’accent sur la qualité en créant un lien émotionnel entre les consommateurs et la marque. Pour la première fois, une enseigne de référence (la troisième enseigne alimentaire française) cassait les conventions de la catégorie en sortant de la guerre des prix. C’était un choix courageux mais vital, car il plaçait Intermarché dans une position de leader.
La campagne comprenait également une série de publicités imprimées et numériques.
Quel rôle cette campagne a-t-elle joué dans la croissance d’Intermarché ?
JL : Depuis le lancement de la campagne « L'amour, l'amour », les résultats commerciaux d'Intermarché sont exceptionnels. Intermarché a gagné des parts de marché pendant 18 périodes consécutives de 4 semaines.
En 2017, Intermarché a augmenté son chiffre d'affaires annuel de 4%. Soit un retour sur investissement de +1,1 milliard d'euros pour 53 millions d'euros investis dans les médias.
Grâce à son changement de marque, Intermarché a réussi à attirer davantage de clients, réalisant une hausse du trafic en magasin (+13,3 millions de passages en caisse en 2017 vs 2016), la plus forte performance du marché. La croissance du trafic d'Intermarché a été 5 fois supérieure à celle de son concurrent.
De plus, « L'amour, L'amour » a permis à Intermarché d'attirer une clientèle plus rentable. En effet, Intermarché a gagné +0,2 point de part de marché sur le segment des clients « aveugles aux promotions », c'est-à-dire les clients qui ne s'intéressent pas aux promotions et aux remises. Intermarché est la seule enseigne (avec E.Leclerc) à avoir attiré cette clientèle cible.
La campagne « L'amour, L'amour » a eu un impact très rapide et direct sur l'image de marque. 78% des Français ayant vu la campagne ont déclaré que la campagne avait amélioré l'image qu'ils avaient de la marque. En 2017, Intermarché est devenue la marque avec la plus forte évolution de la perception de la modernité de la marque. La perception de la modernité d'Intermarché a augmenté de 1,1 pt tandis que la perception de la modernité de la concurrence a diminué en moyenne de 0,35 pt.
Parallèlement, l'intention de visite des magasins Intermarché a progressé de manière régulière. En effet, la progression d'Intermarché (intention de visite) a été 27 fois supérieure à celle de ses concurrents et surtout la plus forte de la catégorie en 2017, avec une hausse de 1,9 pt contre 0,07 pt en moyenne dans la catégorie.
Outre l’impact de la campagne sur les consommateurs, d’autres résultats ont-ils été obtenus ?
JL : Outre les résultats commerciaux, la campagne a eu un impact immédiat en interne ainsi que sur la manière dont les concurrents communiquaient.
D'une part, la campagne a accéléré le rythme des changements structurels internes d'Intermarché pour élever l'expérience client et les produits au niveau de la campagne :
- Développement d'innovations produits : produits plus sains avec moins de sucre, moins de sel, moins d'additifs (marques propres Intermarché).
- Extension de la gamme bio et développement de la plus grande gamme bio pour enfants du marché.
- Restructuration et refonte complète de notre programme de fidélité, avec des rabais alloués aux recettes saines; le développement d'indicateurs de qualité pour guider les consommateurs dans leurs décisions d'achat; et l'accent mis sur les innovations en matière d'alimentation saine.
- Restructuration du concept du magasin pour mettre l'accent sur les produits traditionnels et encourager les gens à cuisiner plus souvent à la maison.
D’un autre côté, la campagne a secoué le secteur :
- Parmi les concurrents, 4 enseignes ont lancé des appels d'offres pour confier leur publicité à une nouvelle agence : E.Leclerc, Système U, Auchan, Aldi. Un bouleversement phénoménal dans l'histoire du secteur, certaines enseignes collaborant avec une même agence depuis 20 ans.
Jérôme Lavillat est Stratégiste chez Romance Agency.